La relation des bruxellois de Great Mountain Fire avec la France, c’est un peu celle du chat et de la souris. Alors que leur premier album (Canopy) ne brasse que succès et compliment depuis plus d’un an en Belgique, la France les ignore. Maintenant que Canopy sort dans l’Hexagone (la sortie est prévue en octobre), les cinq belges gardent leur longueur d’avance en le rééditant en version acoustique. Présent à Dour, on pouvait difficilement éviter de se pencher un peu sur leur pop à la fois malicieuse et astucieuse avant que la muraille de blackberrys et d’oreillettes bluetooth ne vienne inonder leur planning promo. Ca tombe bien, ils ont des choses à nous dire.

 Racontez-nous un peu votre rencontre, apparemment vous vous connaissez depuis l’enfance ?

Alexis : Avec Antoine, on devait avoir deux ans et demi quand on s’est rencontrés (rires).

Thomas : Moi quand je les ai rencontré, ils avaient 19 ans et c’était déjà un vrai groupe (rires).

Alexis : En faite, on se connaît depuis l’école, ce qui fait qu’on a commencé à faire de la musique assez jeune. Avant les Great Mountain Fire, on a eu plusieurs projets qui ont finit par aboutir à notre rencontre avec Thomas. Pour la petite histoire, la première fois que l’on s’est rencontré s’était lors d’une soirée dans la rue où habitaient notre claviériste et notre batteur. On était en train de jouer et lui, avec son look californien et sa guitare, il est arrivé sans même dire bonjour ou lâcher un seul mot et il s’est mis à jouer avec nous.

Thomas : Après on s’est dit bonjour quand même (rires).

Alexis : C’est vraiment comme ça que tout a commencé. L’envie de composer un album n’est arrivée qu’après. Pour que tout se passe bien, on savait que notre projet devait partir de A et tentait d’aller jusque Z. Et c’est ce qui a fini par donner naissance à notre premier album Canopy.

D’où vient votre culture musicale ?

Antoine : Je crois qu’elle vient des cd (rires). Ca peut paraître bête à dire mais finalement c’est important de le préciser parce que, contrairement à la génération actuelle, notre culture ne s’est pas faite sur Youtube. Ca c’est à truc à souligner d’ailleurs : on a connu l’ère des mini-disques (rires).

Thomas : C’est vrai que lorsqu’on était jeune, on aimait bien acheter les cds et les mini-disques. Malheureusement, ça coutait cher ces conneries. Ca n’a vraiment pas bien marché.

Antoine : À la base, on écoutait pas mal de musiques différentes. Par exemple, Morgan et Tommy sont pas mal influencés par le hip-hop tandis que le reste du groupe a plutôt était bercé par le rock dans toute sa diversité. A part ça, il faut avouer qu’on est quand même clairement plus touché par tout ce qui a était fait plutôt que par le courant actuel. On n’est absolument pas au courant de tout ce qui sort en ce moment. Nous ce qu’on aime c’est les vieilleries, c’est retrouver un peu le génie du passé et en réutiliser quelques formules pour les injecter dans notre musique.

Alexis : Mais ce n’est pas non plus une fascination en tant que telle pour le vieux parce qu’il est vieux. C’est juste qu’on aime bien remonter les arbres généalogiques. On a écouté à fond Radiohead dans toute notre adolescence et c’est un peu ce groupe qui nous a permis de découvrir des groupes comme Can. Après, niveau stylistique, c’est plus complexe que ça. On se définit souvent comme une locomotive pop/rock avec des codes assez simples. On tire derrière nous des sortes de courants comme des wagons.

Thomas : Il y a quand même l’envie de chercher toute la diversité qu’il peut exister dans un son tout en restant assez fin. Autrement dit, pendant l’enregistrement, on s’est beaucoup amusé à rechercher ce qu’on pourrait mélanger comme son. Puis, on a commencé à travailler et à peaufiner tout ça en live. C’est ce qui donne ce côté suave, parfois Motown à l’album, surtout dans les moments où ça groove. On ne se pose pas trop de question en faite, on est plus sur la sensation procurée au moment où on découvre une sonorité. Ca reste sur le frisson.

Pourquoi avez-vous décidé d’enregistrer votre album acoustique près de Maubeuge, à Pont-Sur-Sambre ?

Alexis : Quand on a sorti notre album Canopy, on a été amené à adapter certains morceaux un peu à la va-vite pour la promo et la radio. Il s’est avéré que le résultat était relativement apprécié et, nous même, on s’est rendu compte que d’aller à l’essence des morceaux, d’enlever une grande partie des artifices, était un travail hyper intéressant. On s’est dit qu’on aller enregistrer tout ça sur un album. Disons que le projet a vraiment été lancé lorsque nous avons était booké pour les Nuits du Botanique en acoustique dans le Musée. Le processus s’est lancé pour cette date là. Pour Maubeuge, on a travaillé en partenariat et en co-production avec les Nuits Secrètes. L’un des organisateurs du festival possède un studio et  ils nous ont gentiment invité à jouer dedans. On avait à notre disposition tout son matériel qu’on a pu emmener par la suite dans une espèce de gite totalement perdu dans la campagne à la déco douteuse. Et c’est là qu’on a fait notre album d’une façon très roots finalement.

Thomas : Et pourquoi les Nuits Secrètes, parce que cette co-production s’est faite sous forme de troque. C’est-à-dire que s’ils nous laissaient enregistrer, nous on venait jouer à leur festival.

D’ailleurs vous jouez les deux versions durant le festival (les Nuits Secrètes se déroulent du 3 au 5 août à Aulnoye-Aymeries), ça sera une première non ?

Thomas : Oui, et ce sera super intéressant. D’autant que cela fait complétement partie de l’esprit du festival. On a de la chance que les organisateurs se soient rendus comptes que notre projet se calquait parfaitement au leur. Ca nous a permis de faire de superbes rencontres.

Que signifie le titre, Canopy ?

 Thomas : Pour faire simple, Canopy, c’est l’ensemble de la faune et de la flore qui est compris entre le ciel et la terre dans une forêt. Nous on voit cet endroit comme un milieu végétal un peu exotique. C’est pour ça qu’on a des influences qui sonnent un peu comme telles. On vient de Bruxelles, il faut nous comprendre, on a trouvé une sorte d’évasion là-dedans.

Pourquoi avoir autant tardé à sortir votre en album en France alors qu’il est sorti depuis plus d’un an en Belgique et qu’il est déjà sorti en Hollande ?

 Alexis : Ca on n’y peut rien, c’est les aléas de la condition indie (rires). En réalité, l’album est sorti l’année dernière, juste avant l’été. On a tourné avec dans plusieurs festivals afin de le promouvoir et c’est tout au long de l’année qui vient de s’écouler qu’on a pu lancer son parcours international en quelques sortes.

Thomas : Il y a des groupes qui attendent d’avoir des deals complets avec pas mal de pays. Nous on ne s’est pas posé autant de question. On a voulu sortir un disque, on l’a sortie en Belgique. Par la suite, on a voulu le sortir en France, mais ça a pris du temps à cause du développement. Il fallait qu’on prenne le temps de jouer sur place pour se faire connaître et que les gens commencent à parler de nous. Si ça a pris plus vite en Hollande c’est peut-être parce qu’en France il y a d’autres codes, d’autres groupes et le territoire est beaucoup plus vaste.

On entend souvent dire que vous êtes soutenu par Ghinzu, est-ce vraiment le cas ? Vous vous sentez des liens avec eux ?

 Alexis : Tu sais, dans le milieu musical à Bruxelles, beaucoup de gens se connaissent. Du fait de cette proximité, on a eu l’occasion de rencontrer Montevideo et plus particulièrement Jean (Jean Waterlot, chanteur et guitariste du groupe ndlr) qui, en plus d’avoir produit notre album, joue dans Ghinzu. La rencontre s’est faite en 2010 lors de la Nuit du Soir (événement musical organisé par le journal Le Soir) dont la programmation était confiée à Ghinzu.

Thomas : D’où la parenté avec Ghinzu. Quand les gens disent qu’on est sous leur aile, c’est tout simplement parce que Jean nous a aidé à produire notre disque. Après, musicalement, il n’y a aucun lien de parenté. Juste peut-être le fait qu’ils nous aient prêté des instruments (rires).

Un de vos titres porte le nom d’une œuvre de Duchamp, quel est votre rapport à cet artiste, et à l’art en général ?

 Antoine : Je pense que c’est juste un hommage, un grand clin d’œil.

Alexis : Au fond, on est tous concerné par ses travaux parce qu’il a quand même redéterminer la condition de la création artistique au 20ème siècle. Au sein de toute son œuvre, il a cherché à se détacher de l’artisticité de l’objet même pour mettre en avant la démarche et je crois que ça a complétement reconditionner le 20ème siècle. Mais nos influences sont davantage musicales. On n’est pas les enfants de Duchamp.

 Vous avez l’impression que vos chansons ont changée en un an ?

Alexis : Justement, « Rrose Selavy » c’est un morceau qui a son histoire puisque l’écriture et la composition ont complément éclaté depuis son ébauche. J’ai écris les paroles, Thomas a écrit la ligne de chant et Antoine a chanté. Au final, c’est un morceau qu’on n’a pas mis sur l’album acoustique mais qu’on a voulu travailler pour les Nuits du Botanique et qui a pris un visage tout autre. Personnellement, je crois que c’est un morceau qui a son existence propre et qui s’impose en tant que tel aux musiciens parce qu’il a beaucoup évolué dans l’intention. Pour être honnête, on ne sait même plus comment le jouer en électrique à cause ou grâce à ses dérives acoustiques.

Thomas : C’est difficile de sortir un morceau du lot parce qu’on a tourné avec toutes ces compositions pendant un an. Au final, il y en a pas mal qui nous ont surpris. De toute manière, le passage du studio au live est toujours très intéressant, ça évolue sans cesse. C’est la liberté du live qui nous permet d’être créatif.

Antoine : Je pense aussi qu’à la base on est un groupe de live. On a dû nous enfermer en studio (rires). C’est pas parce qu’on a immortalisé nos morceaux sur cd qu’ils n’ont pas encore une mutation possible pendant les concerts. Même pour nous, c’est un jeu. Et tant mieux, pour nous comme pour le public. A chaque fois, on aime modifier, peaufiner, améliorer.

Vous sentez-vous chanceux d’être aussi libre ?

Alexis : Je crois que la liberté c’est un truc que tout le monde peut trouver. On n’est pas obligé de se laisser contraindre par je ne sais quelle règle.

Antoine : Si la musique n’était pas notre passion, on serait certainement manipulé. Mais comme on est tous tellement attaché au fait de faire de la musique, on ne peut décemment pas imaginer un futur où on nous imposerait de jouer telle note ou de prendre telle pose. Ce serait la mort de notre passion.

Quelle chanson de Canopy considérerez-vous comme la plus personnelle ?

Alexis : Le problème c’est qu’à trois, je pense qu’on est incapable d’en choisir une.

Antoine : Comme on écrit à plusieurs, il y a un esprit collectif qui s’installe. Chacun jette ses idées dans un chapeau, les autres les prennent, les manipule et, par chance, ça donne quelque chose et on en discute. On a tous un morceau qu’on a écrit qui évoque des choses plus personnelles comme il y a des chansons qui sont plus intimes par les sons, mais là c’est purement musical. Je pense notamment à « Late Lights » sur l’acoustique et à « It’s Alright » sur l’électrique qui sont deux morceaux très intimes, avec une certaine pudeur.

Thomas : Moi, j’ai parfois du mal à différencier une chanson par son message, qui peut être très personnel, ou par son exécution. Au fond, je pense que  « personnel » ça peut dire tout ou rien. L’important c’est qu’on se dise que nos musiques sont très personnelles parce qu’elles ressemblent à du Great Mountain Fire. Qu’on se dise « Ah oui, ça c’est eux qui l’ont composé ».

Alexis : Ce qui est marrant, et je vais finir là-dessus, c’est qu’on a enregistré « Crooked Head » à la première personne du singulier. Pourtant, lorsqu’on a commencé à la jouer en live, on s’est mis instinctivement à la mettre à la première personne du pluriel. Comme quoi le personnel n’est présent que dans les intentions de base. Ensuite, c’est le collectif qui prend le dessus.

IT’S ALRIGHT by Great Mountain Fire

CROOKED HEAD by Great Mountain Fire