En un peu plus d’une décennie, le Lyonnais Agoria s’est imposé comme l’un des DJ’s et producteur les plus talentueux de l’hexagone. Fondateur du label InFiné (Rone, Francesco Tristano, Danton Eeprom, Arandel…) et membre permanent de l’équipe du festival des Nuits Sonores à Lyon, Sébastien Devaud aka Agoria nous a accordé une petite demi-heure à l’occasion de la résidence de son label à La Gaîté Lyrique du 13 au 17 avril dernier.

Avant toute chose, peux-tu faire une petite présentation à nos lecteurs qui aimeraient en savoir plus sur Agoria ?

Je suis un jeune DJ qui a commencé à l’âge de 15 ans, voire même avant car j’avais un fisher-price dans lequel j’insérais des disques quand j’étais tout petit. Ensuite j’ai découvert la musique de Détroit fin années 80 début des 90’s, ce qui m’a donné envie d’aller dans les magasins de disques pour voir ce qu’il y avait a écouter.

A la base je voulais vraiment être disquaire. C’est un peu là que j’ai fait ma culture musicale. Petit-à-petit on m’a poussé à faire le DJ, puis à faire un peu de musique. J’ai commencé avec une platine pendant des soirées entre amis puis j’ai découvert les raves. Une vraie aventure entre les flics qui faisaient une chasse à l’homme aux promoteurs de soirées pour savoir où se déroulaient ces fêtes dites « sauvages ».

Très souvent je me suis retrouvé au poste de police, coupable d’être le jeune DJ qui jouait en dernier, en général dans les afters je jouais entre 7h et 12h et c’est à cette heure-ci que les flics arrivaient pour me cueillir puisque tout le monde était déjà parti évidemment.

La quatrième fois le type m’a dit « ah non mais c’est bon, pas de problème on le connaît ». J’ai d’ailleurs pris une claque un jour à l’Hypnotic à Lyon avec un DJ français dont on entend plus parler et qui s’appelait Stefanovic. J’ai eu l’impression de l’écouter pendant une demi-heure alors qu’en fait je suis resté six heures dans le club… je ne sais pas ce qu’il y avait dans les verres ce jour-là mais ça a été un vrai déclic pour moi.

Penses-tu que ce DJ dont tu nous parles t’as toi-même influencé dans la manière avec laquelle tu gères tes sets, pour recréer ce même genre d’atmosphère que lui ?

Je pense que ma manière de jouer a beaucoup évolué au fil du temps. Quand j’ai commencé (entre 16 et 20 ans) j’étais un garçon assez énergique, je faisais beaucoup de « cuts » et je me servais beaucoup du cross-fader. Il m’arrivait de jouer drum’n’bass, avec un tempo toujours très rapide (environ 145 BPM).

Ensuite je me suis éduqué et ma façon de jouer a changé, notamment avec mes années radio, grâce aux animateurs passionnés qui m’ont fait découvrir de la bonne musique et ce, dans presque tout les styles. Cela m’a permis de développer mon ouverture d’esprit et mon désir de métissage.

Quel est le premier disque que tu t’es acheté (avec tes propres sous) ?

Je m’en souviens très bien, c’est Big Fun de Inner City. J’avais été obligé de laver toutes les voitures du voisinage pour pouvoir me l’acheter parce que mes parents trouvaient que c’était un mauvais disque. Ce morceau a fait un carton alors que s’il sortait aujourd’hui il passerait peut-être inaperçu, ils en vendraient peut-être 2000 ou 3000 exemplaires.

A l’époque c’était un hit mainstream qui passait sur NRJ, Fun Radio voire Skyrock. Un jour je me suis demandé tout ce que j’avais acheté depuis 6-7 ans et je me suis rendu compte que la plupart de mes disques venaient de Détroit. Je me souviens des grands distributeurs de disques comme le magasin de disque Submerge tenu par Mad Mike, également fondateur du label Underground Resistance qui distribuait tout les disques de Détroit en Europe.

Comment fais-tu pour mixer toute une nuit sans montrer de signes de fatigue ?

C’est un exercice très difficile. Premièrement, il faut savoir que physiquement ça n’est pas si simple, c’est très éprouvant. Je suis bionique, par exemple je ne pense même pas à aller aux toilettes pendant un DJ Set, et puis de toute manière je ne pourrais pas y aller.

Deuxièmement, tu peux vite perdre le fil de la soirée si tu n’as pas amené les gens quelque part, ça peut devenir délicat pour le reste de la soirée donc il faut vraiment savoir où tu veux aller lorsque tu mixes 5 ou 6 heures de suite…

Que fais-tu quand tu sens que les gens décrochent ? Comment cela arrive-t-il ?

Il peut y avoir plusieurs raisons, il se peut que je ne sois pas dedans, un peu fatigué ou que quelque chose ne passe pas. D’autres fois c’est le public, la soirée est moyenne alors que je joue les mêmes choses que la soirée précédentes et qui était super. Parfois je n’arrive pas à rattraper, jouer des trucs trop efficaces ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus, c’est une histoire d’équilibre.

Évidemment il y a des DJ’s qui ne se posent pas cette question et qui joue des hits de A à Z avec de la grosse turbine pour faire lever les bras, prendre des photos et les mettre sur Facebook et avoir l’impression d’être quelqu’un de chouette. J’essaye de faire plaisir aux gens tout en suggérant des choses, comme je le fais avec mon label. Les labels sortent des disques pour uniquement les vendre. Bien évidemment on fait pareil, mais on essaye avant tout d’ouvrir les goûts musicaux des gens, de les inciter à découvrir de nouvelles choses.

« J’essaye de faire plaisir aux gens tout en suggérant des choses, comme je le fais avec mon label »

La recette de ton succès ne serait-elle pas justement le résultat de cette capacité à naviguer entre des choses très pointues et d’autres plus ouvertes au grand public ?

Oui mais cela implique que les personnes dites « lambda » soient ouvertes et que les plus « pointues » comprennent cette envie parfois de passer tel ou tel morceau qu’il doit connaître pour ne pas perdre une partie du public qui décrocherait. Je pense être un puriste mais je ne suis pas autiste. Le problème est que trop souvent on est soit en quête de popularité soit complètement renfermé, j’ai l’impression d’être un petit sorcier, à mon humble niveau bien sûr.

Quel est le titre de ton dernier album « Impermanence » qui a ta préférence durant tes sets ?

C’est assez bizarre car chaque soir à sa préférence. Il y a des soirées où j’ai plus envie de jouer Little Shaman, d’autre où je vais préférer Heart Beating, Panta Rei ou Speechless. Cela dépend de beaucoup d’éléments, c’est surtout la manière dont je l’ai amené qui m’intéresse et qui m’influence dans mes choix.

Concernant la compilation Fabric 57, quelle est l’évolution du mix que tu as voulu donner ?

Je voulais faire quelque chose de différent de Balance ou At The Controls. C’est un mix qui est plutôt club et j’ai essayé de refléter ma vision la plus globale de la techno d’aujourd’hui, aussi bien dub, house, techno, trance… Il y a vraiment tout ce que j’aime dans la musique électronique de club.

Il y a des morceaux de Moritz Von Oswald, Basic Channel, de la nouvelle scène anglaise également comme Mark E, Cottam, Space Dimension Controller dont je suis fan. Il y a aussi quelques exclusivités maison comme un remix de dOP pour Clara Moto qui n’est pas sorti, un nouvel artiste norvégien qui s’appelle Eisbar.

Et il y a même de la Soul avec José James…

Oui, le sublime morceau Blackmagic qui est sorti sur Brownswood le label de Gilles Peterson !

Est-ce qu’un jour ça pourrait t’intéresser d’explorer ta propre voix sur un de tes morceaux ?

J’ai fait un seul morceau avec ma voix, qui était sur le deuxième album, peut-être que j’en referais plus tard. Il faut que je me mette plus à l’écriture, il faut qu’il y ait un sens. Je chante très mal, il faut que je me décomplexe à ce niveau là.

Il paraît que tu vois assez souvent le chanteur Christophe ces temps-ci, as-tu des projets musicaux avec lui ?

On s’est rencontrés sous l’impulsion à la fois d’Alexandre Cazac d’InFiné et de Didier Varrod de France Inter qui sont deux anges gardiens. On s’est vus lors de l’émission Electron Libre puis je suis allé chez lui. C’est là qu’il m’a fait écouter beaucoup de musique et j’ai été assez surpris par ce qu’il avait pu faire il y a 35-40 ans.

Il m’a fait écouter des démos très électroniques qui ne sont jamais sorties. Il connaît absolument tout des synthés et des machines, c’est une encyclopédie, il a un petit côté sorcier. On est tout les deux assez ouverts et c’est possible qu’un jour tout cela découle sur une collaboration.

« Christophe a un petit côté sorcier, il connaît tout des machines »

Quels sont tes deux synthés fétiches ?

J’aime particulièrement le Minimoog et l’Andromeda.

Pour finir, quel est ton artiste ou morceau favori du moment ?

Il y en a beaucoup, bizarrement tout ce que j’aime ne sort que sur vinyle, donc je me remet a en acheter beaucoup car je déteste les rip de vinyles. J’ai beaucoup aimé l’EP de Four Tet & Burial & Thom Yorke. Je m’intéresse à un espagnol qui habite dans les montagnes, il a fait une série qui s’appelle Analogue Solutions.

Il faut savoir qu’il n’a pas internet chez lui, donc à chaque fois qu’il m’envoie un morceau il est obligé de faire 70km. Il ne fait ses morceaux qu’avec des machines ce qui donne une âme à ses morceaux et c’est certainement cela qui me touche.

Ci-dessous le DJ set d’Agoria pour Radio Campus avec le tracklisting :

1- Rythm & Sound – Smile
2- Cubenx – Lovebirds
3- Eisbar – Subspace 8
4- Analogue Solutions 6A
5- Pearson Sound
6- Analogue Solutions 4B1
7- Agoria feat Seth Troxler – Souless Dreamer (Cottam Rough remix)
8- Thom Yorke, Four Tet, Burial – Aside
9- Mr fingers – Path
10- KZRC feat Kemi – Feeding
11- Unthank A1
12- Unthank A2
13- Julio Bashmore – Ask Yourself (Midland remix)
14- Tropique of cancer – Be Brave
15- Tres Demented – Oh Boy
16- Omar S – Here’s Your Trance Now Dance
17- Connan Mockasin – Forever Dolphin Love (Erol Alkan edit)
18- Keren Ann – 101

Un grand merci à Virginie, InFiné Music & à Thibaut de la Gaité Lyrique qui ont permis cette rencontre !
Article préparé avec Möggli