J’ai découvert Arty Dandy un peu par hasard : je cherchais une boutique qui distribuait Cavalier Bleu, une marque de vestes, littéralement introuvable. Je me rends donc dans ce concept-store, situé dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Je n’ai pas trouvé ce que je cherchais mais je me suis très vite intéressée au reste de la boutique. Littéralement charmée, j’ai demandé au très sympa créateur de la boutique, Axel, de m’expliquer le concept de sa boutique.

Tout d’abord pourquoi « Arty Dandy » ? Enfin surtout pourquoi « dandy » ?

Le dandysme c’est avant tout pour moi le signe de l’indépendance, c’est ce que dit Barbey d’Aurevilly : c’est une indépendance d’esprit et de goût. Le dandy c’est celui qui va à l’encontre des choses convenues ou attendues. Il n’a pas besoin d’avoir l’opinion des autres pour avoir une opinion à lui. La sélection que je propose s’inscrit évidemment dans un courant esthétique, mais c’est ma sélection et c’est mon regard sur la création. C’est toujours un équilibre entre impertinence et élégance. Voilà le dandysme c’est ça, il se situe là.

Justement, si je me souviens bien, dans les livres classiques le dandy est un jeune homme très bien mis sur lui et qui veut choquer ses aînés.

Quand le dandysme a été inventé par « le beau Brummell », c’était un style qui était dans l’exagération, parce que l’époque était à la grande bourgeoisie et les codes de la bourgeoisie étaient de ne surtout pas choquer, d’être dans le bon goût. Aujourd’hui je pense que le dandysme c’est exactement l’inverse, c’est-à-dire qu’aujourd’hui tout le monde veut se faire remarquer et  veut avoir son propre style. Une certaine jeunesse confond même le vêtement avec le costume, il y a une mise en scène de soi qui est permanente. Aujourd’hui je pense que le dandysme est au contraire d’être dans la discrétion et pas dans l’exubérance. Surtout on ne se montre pas. Donc il est toujours en opposition, avec sa liberté.

Ça concorde avec la question suivante, c’est-à-dire le choix du mot « élection » au lieu de « sélection d’objets » (dans le descriptif de la boutique). On ressent avec ce terme et votre discours, que les objets ne sont pas seulement objets, ils doivent s’inscrire dans un parcours presque intellectuel, un processus de construction de personnalité et surtout pas dans une optique consumériste. Est-ce que mon interprétation est juste ?

C’est vraiment ça. Le mot « élection » a un côté plus sophistiqué que « sélection », c’est au sens « d’affinités électives », il y a cette idée, enfin j’espère, que les objets sont peut-être plus littéraires. Cela fait appel à une certaine culture de l’objet, une culture esthétique, une culture de l’image aussi. Donc c’est vrai que je suis très attentif aux objets que je choisis : je ne veux pas de gadgets, je ne veux pas d’objets qu’on utilise 5 minutes, on se dit « ah super » et après on les range. Ça c’est une pollution visuelle, c’est une pollution industrielle. Chez les éditeurs, je choisis une référence, parce que peut-être que le reste ne m’intéresse pas. J’aime beaucoup aussi la matière, je pense que le design est la dialectique de l’idée et de la matière, c’est le combat entre une intention et une réalisation. Et il y a un travail incroyable, qui demande du temps, un savoir-faire.

Ce n’est pas de la grande masse, parce que justement les mastodontes du luxe (LVMH, PPR, …) ont quelque part brisé le rêve. Le luxe c’est ce qui est de l’ordre de la rareté. Alors oui des petites séries, oui des objets qu’on ne peut pas trouver à un million d’exemplaire. Le sac « baguette » de Fendi a été produit à plus d’un million d’exemplaires. Il vaut 1500 €, cette marque a fait plus d’un milliard de chiffres d’affaires avec ce sac. Tant mieux pour eux, c’est super, c’est une vraie réussite industrielle mais encore une fois pour moi, la rareté doit faire partie de l’imaginaire du luxe.

Cela amène ma remarque : surtout ne prenez pas cela comme une critique, mais n’est-ce pas quelque part un certain snobisme ? Le luxe ne doit pas être démocratique, et surtout, pour vous il faut être doté d’un certain « goût » pour savoir l’apprécier.

Pas vraiment un certain goût, mais en tout cas un goût certain. [rires]

Non je pense que le snobisme c’est prendre les gens de haut, or ici au contraire c’est avoir une très grande opinion des gens en disant que tout le monde peut comprendre et apprécier l’objet. Les objets ne sont pas chers chez moi, on a des pièces à 5 €, des petits carnets à 12 €, donc la sélection par l’argent, le snobisme par l’argent n’a pas lieu ici. Par contre oui je fais appel à une forme d’intelligence des gens, car j’ai foi en l’intelligence des gens [rires]. Ce n’est pas du snobisme, ce sont des objets qui sont peut-être plus sophistiqués ou moins habituels, cela demande c’est vrai un peu plus d’efforts. C’est pour ça que je passe beaucoup de temps avec mes clients à leur faire « voir » l’objet.

Il faut toucher cet objet, il faut apprécier la finition. C’est mon rôle en tant que commerçant, humblement, de faire le passage entre celui qui a produit et celui qui reçoit. J’apporte beaucoup de soin à raconter l’histoire de l’objet et mes collaborateurs sont formés pour être à même de raconter tous ces détails. C’est un enjeu qu’on ne soupçonne pas.  L’objet va au-delà de sa symbolique monétaire ou sociale. Il se passe quelque chose de mystérieux, presque comme chez Artaud, une magie dans l’objet. Les gens viennent chez moi et reviennent parce qu’ils apprécient cela. Je suis content de pouvoir les étonner. L’étonnement ne doit pas être dans le spectaculaire.

Ici, un portefeuille en forme de crapaud…non en vrai crapaud !! les pattes sont rentrées, et la peau doublée à l’intérieur.

Tout est question de dosage et question d’élégance surtout. Je ne veux que des produits de qualité, et je veux que le prix soit juste par rapport au produit.

D’où la « métaphore sociale » (vu sur le site) ?

Les objets représentent une époque. Le mobilier en est l’exemple le plus parlant. Le mobilier Empire représente la puissance, l’autorité; dans le mobilier Starck vous sentez cette période des années 80 qui teste dans tous les sens. Notre époque post-moderne n’a plus de marqueur spécifique, n’a pas de style à elle, on puise dans des inspirations très diverses : il n’y a pas d’art contemporain, mais des artistes contemporains. Il n’y a pas de mode mais des créateurs. Ce sont des moments d’humeurs très différents. On est plus dans la complexité des sensibilités, où on peut être quelqu’un de très contemporain, mais apprécier une envolée de papillons très 19ième.

On peut aimer la poésie de Martin Margiela et les plumes d’oie en stylos-plumes. Ce n’est pas incompatible, ce sont juste deux visions différentes, les gens ont une complexité, il ne faut pas les mettre dans des cases.

Je voudrais aborder une autre partie, celle de la création de votre entreprise : comment avez-vous fait après avoir travaillé dans des galeries pour en arriver à Arty Dandy ?

J’ai fait plein de choses, j’ai travaillé dans des galeries, mais j’étais ennuyé par justement le snobisme et le nombrilisme parisien donc j’ai voulu découvrir ce qu’il se passait dans le monde et voir ce qu’était la maison ailleurs. On parle de mondialisation mais on ne sait même pas dans quoi vivent les brésiliens, les marocains, les indiens…Donc j’ai monté une étude ethnologique, la plus grande étude comparative faite sur l’habitat, et je suis allée dans 10 pays, j’ai photographié, j’ai interviewé, j’ai essayé de comprendre ce que c’était de vivre à la fin du 20ième siècle. J’ai fait ça pendant 3 ans, après j’ai travaillé dans une agence de design, parce que le design m’intéressait en tant que processus créatif. Et puis travailler pour des clients, ça aussi c’est limite, j’avais toujours cette obsession de l’objet, donc j’ai pris mon courage à deux mains, je suis allé voir un banquier et puis voilà. Et j’ai donc plein d’emprunts derrière moi [rires].

Vous faites toujours du conseil ?

Oui pour les éditions Dupuis, pour la cité de la mode et du design, pour le concept COS dans le 9ième. Mais maintenant j’ai plus le temps, Arty Dandy ouvre un deuxième point de vente, on passe à la vitesse supérieure, bientôt le monde ! [rires]

Mais ça va être dur de conserver ce regard et cette « élection » de l’objet si vous grandissez non ?

Il ne faut pas, il faut conserver cet esprit. L’enjeu est de pouvoir sourcer : c’est-à-dire est-ce que si la demande est forte, l’offre des créateurs pourra suivre derrière, c’est plutôt ça mon dilemme. Peut-être à un moment je devrais déléguer les achats mais c’est pas à l’ordre du jour.

J’ai vu que vous aviez des « parrains », qu’est-ce que c’est que ce système de parrainage ? Une source de financement ?

Non, ce n’est pas un parrainage financier, c’est un parrainage de conseil : des gens que j’aimais bien, que j’estimais pour leur carrière professionnelle. Et donc je me suis dit que je voulais échanger avec des gens qui ont de l’expérience dans des domaines que je n’ai pas et je suis allé les voir pour qu’ils me parrainent, me fassent bénéficier de leur expérience, mais de façon simple, par des déjeuners, en discutant quand j’ai des interrogations. Ils m’ont accordé de leur temps, ce qui est bien la chose la plus précieuse. C’est comme ça que j’ai créé ce comité de parrainage. Depuis, certains ont investi dans Arty Dandy et m’accompagnent encore plus activement.

Un dernier mot sur Arty dandy ?

Il ne faut pas hésiter à passer et repasser car c’est une boutique vivante, un processus en mouvement avec toujours de nouvelles choses. C’est ce que disait Liskinski : « toute forme est un moment arrêté d’un processus qui ne cesse de se développer ». Je suis fier de tous mes objets, mais ça reste un processus de recherche. Et tout ça avec modestie.

INFORMATIONS

Arty Dandy – 1 rue de Furstenberg 75006 Paris

ouvert de 10h à 19h du lundi au vendredi – 10h30 à 19h30 le samedi.

Vous pouvez découvrir l’univers et e-shopper sur le site de Arty Dandy.