Ce n’est non sans zèle que, d’un pas martial, je cherche à fuir la fureur citadine. Me faire la belle.
Ça vous tente ?
Bon il ne s’agit pas d’aller bien loin mais de décamper un instant de cette pléthore humaine, bifurquer, tourner le dos aux Champs Elysées et trouver refuge au 60 rue de Bassano.

Pourtant autant l’annoncer tout de suite Altérité. Je est un autre, thématique de la nouvelle et 22ème exposition de l’Espace Culturel Louis Vuitton est plutôt propice à corroborer cette sensation du multiple, mais ici c’est la pluralité du Soi qui est à l’honneur.
Pas de véritable séance rétrospective rassurez-vous, seulement de quoi découvrir voire (re)découvrir divers artistes, percevoir un large champ de réflexions et prendre de l’altitude !

Ascensionnel oui, car à peine arrivés au rez de chaussée de l’Espace on est vite invité à prendre l’ascenseur jusqu’au septième étage et cela dans la pénombre absolue. Quelques secondes qui paraissent se distiller à jamais, la tête encore bourdonnante de l’agitation de la rue, on attend, silencieux et flottants, la délivrance.

Et nous y sommes ça y est, les sens bien exacerbés, accueillis pas un trou de serrure géant et par une lumière blanche !
De quoi nous donner le sentiment aigu de sentir, ressentir, éprouver, être en somme.
Et ça tombe bien, car Hervé Mikaeloff, commissaire de cette exposition de groupe dont le titre laisse transparaitre la référence rimbaldienne nous invite à nous perdre un instant, nous reconnaître, nous interroger au sujet de l’ambivalence entre le soi et la réflexion de son image.

Et on se laisse aisément séduire par le travail d’une dizaine d’artistes de diverses nationalités et aux démarches différentes qui gravitent tous autour des mêmes questions existentielles et universelles:
« Qui suis je ? Qui est l’autre ? »
Pour n’en citer que quelques uns : que ce soit par les photomontages d’autoportraits travestis de Pierre Molinier, ou par l’esthétique des nus photographiques de Francesca Woodman.

Francesca Woodman, Self Deceit#1, Rome, 1977-78

Mais aussi par la série de peintures de Tal Mazliach et par la sculpture Peau noire, masque blanc, de Kader Attia. Les dessins à la mine de plomb de l’artiste afghan Reza Hazare représentant des figures hybrides ont su particulièrement retenir mon attention. J’ai bien aimé le sentiment ambigu de révulsion et de curiosité auquel les deux sculptures ainsi que la vidéo de Gil Yefman (dont la pratique est marquée par la technique du tricot) nous confrontent. La série de portraits, costumes et vidéos de Leigh Bowery reflète un univers fantasque assez surprenant.

Leigh Bowery, Série de portraits, costumes et vidéos, 1988-1994

J’ai été très sensible à l’importance accordée à la toute jeune création contemporaine : quatre étudiants de l’atelier d’Eric Poitevin des Beaux Ars de Paris ont eu carte blanche. J’ai trouvé les trois vidéos qui occupent le rez de chaussée d’une grande qualité.

Dans l’ensemble le parcours est assez dense, bien que les œuvres ne soient pas très nombreuses. L’exposition est scandée grâce à une alternance entre espaces obscurs et lumineux ce qui suggère avec un peu trop de facilité à mon sens, la dualité entre surface / profondeur, extérieur / intérieur, singulier / pluriel.
On apprécie quoi qu’il en soit les larges baies vitrées par lesquelles on peut contempler divers points de vue de Paris ce qui rend la visite éthérée et particulièrement digeste.

Vue d’exposition

Une halte à l’espace librairie vaut le détour avec des ouvrages tels que Soi même comme un autre de Paul Ricoeur, L’écart et l’Entre de François Jullien ou bien encore La métamorphose de Kafka.
On reste un peu sur sa faim et un catalogue en main car il est offert, on se dirige un peu dubitatif vers l’ascenseur. Un voyage singulier et une exposition intéressante si l’émoi et moi est votre adage !

Informations pratiques :

Altérité. Je est un autre
Espace Culturel Louis Vuitton
60 rue de Bassano, 75008 Paris
Accès libre
Du lundi au samedi de 12h à 19h
Le dimanche de 11h à 19h.
Jusqu’au 15 septembre.